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Titel
Famiglie e potere. Il ceto dirigente di Lugano e Mendrisio tra Sei e Settecento


Autor(en)
Schnyder, Marco
Erschienen
Bellinzona 2011: Casagrande
Anzahl Seiten
407 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Bertrand Forclaz

Avec cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, l’historien Marco Schnyder a fourni une contribution importante à l’histoire sociale et politique du Corps helvétique à l’époque moderne. Au centre de sa recherche se trouvent les familles de l’élite dirigeante de deux bailliages tessinois aux XVIIe et XVIIIe siècles. Par le choix de son objet, M. Schnyder place son travail à l’intersection de plusieurs domaines: histoire sociale et économique, avec l’étude des familles, de leurs patrimoines, des trajectoires de leurs membres; histoire politique au sens large, avec l’enquête sur l’exercice du pouvoir, mais aussi sur sa légitimation; mais aussi histoire religieuse, avec l’étude des couvents et des bénéfices ecclésiastiques, et histoire urbaine, avec celle des palais. De la même façon, la recherche joue de différentes échelles d’analyse, du micro, avec les luttes intestines pour le pouvoir dans les bailliages, au macro, à travers le rôle des autorités extérieures – cantons souverains et évêque de Côme: ce changement d’échelle est d’autant plus pertinent dans une région de frontière comme le Tessin, comme le montre l’auteur tout au long de son ouvrage. Cette capacité à se placer à l’intersection des champs disciplinaires se retrouve dans le positionnement historiographique, explicité dans l’introduction: aux travaux d’histoire sociale et politique sur le Corps helvétique et sur l’Italie vient s’ajouter l’historiographie, principalement sociale et économique, sur le monde alpin.

Le livre est divisé en trois parties. Dans la première, Tensioni e communicazione, est présentée la «grammaire» qui permet de rendre intelligible l’univers étudié. Le chapitre I étudie les espaces et les acteurs: les espaces, ce sont les bailliages de Lugano et Mendrisio, appréhendés sous l’angle de la géographie, de la démographie et de l’économie dans un premier temps, puis sous celui de l’architecture du pouvoir et en particulier des rapports entre les bailliages, pays sujets des XII cantons, et le souverain, représenté par un bailli, mais qui laisse une ample autonomie aux institutions locales. Quant aux acteurs, il s’agit des membres des élites des bourgs, pour lesquels l’auteur met en évidence le processus d’«aristocratisation» qui touche les bourgs tout comme le reste de l’Europe à la même époque. Dans le chapitre II, M. Schnyder s’intéresse aux luttes pour le pouvoir: il met en évidence les luttes dans les bourgs entre les familles associées au pouvoir et celles qui en sont exclues, en particulier au milieu du XVIIe et à la fin du XVIIIe siècle, mais aussi entre bourgs et campagnes environnantes, ainsi que les rapports changeants avec les autorités supérieures, tantôt alliés, tantôt adversaires. Le chapitre III est consacré aux logiques sous-jacentes à ces conflits, autour de la nature, de l’appropriation et de la légitimation du pouvoir. L’auteur souligne l’importance de la coutume, la défense des privilèges et les stratifications internes, mais aussi l’arbitrage prudent des cantons; se fondant sur l’étude de discours datant de la seconde moitié du XVIIIe siècle, il étudie enfin la culture politique, qui s’exprime en particulier à travers les concepts de paix sociale, de vertu et de «bon gouvernement».

Dans la deuxième partie, l’auteur s’intéresse aux familles de la classe dirigeante et à leurs patrimoines – comme dans le reste du livre, il étudie en profondeur quatre familles de Lugano et Mendrisio. Le chapitre IV analyse les reproductions du pouvoir. L’auteur y montre très clairement le caractère transnational des élites: la formation est suivie en Italie du Nord, mais aussi dans les cantons catholiques du Corps helvétique; les membres des familles qui font une carrière ecclésiastique, dans le clergé séculier et régulier, sont parfois amenés à séjourner en Italie, ce d’autant plus que les bailliages de Lugano et Mendrisio appartiennent au diocèse de Côme; enfin, les familles concluent des alliances matrimoniales avec des familles de Lombardie et de Valteline, mais aussi des cantons catholiques. Le chapitre V est consacré à la transmission du patrimoine: si les familles étudiées ne pratiquent pas la primogéniture, une partie significative des biens reste indivise, avec la pratique du fidéicommis. Quant aux «investissements sacrés», les donations répondent à des obligations liées au prestige, à la charité, mais aussi à la dévotion, tandis que les cérémonies et les chapelles funéraires renvoient au statut social. Ce tableau social des familles dépeint ensuite les activités exercées et les patrimoines détenus par les familles, qui font l’objet des chapitre VI et VII. Si les familles appartenant au Conseil des bourgs s’éloignent des activités mercantiles et entrepreneuriales pour se dédier à la magistrature et à la terre, suivant en cela une évolution classique dans l’Europe moderne, l’auteur relève cependant les liens entre les familles émigrées, et en particulier celles dont les membres exercent une activité artistique, et les élites dirigeantes locales. Ces dernières se livrent à une véritable «course à la terre» et le pouvoir que cette dernière leur confère se matérialise à travers les demeures seigneuriales construites à la campagne, mais aussi les palais urbains – l’auteur analyse ici le mode de vie des familles et la décoration des palais. Autre source de revenu importante, le crédit est analysé dans le chapitre VIII. M. Schnyder en montre bien l’importance sociale et politique de par les liens de dépendance qu’il crée, ce d’autant plus qu’il s’agit fréquemment de prêts à longue échéance.

La troisième partie est dédiée aux liens – verticaux et horizontaux – tissés par les membres de l’élite. Le chapitre IX concerne leur cursus honorum: il s’agit d’une part des fonctions qu’ils occupent dans l’administration des bailliages, qui leur permettent de nouer des relations avec les élites des XII cantons, et dans les conseils municipaux, de l’autre des titres obtenus dans les cantons, des médiations et relations avec l’étranger, ou encore du service mercenaire. Titres et fonctions confèrent à ceux qui les détiennent un pouvoir, notamment de médiation, mais ouvrent aussi aux autorités souveraines un espace de communication avec leurs sujets. Le chapitre X, enfin, est consacré à la nature du pouvoir exercé par les familles de l’élite. Il consiste tout d’abord en un rôle d’arbitres, de médiateurs, de procureurs dans les conflits judiciaires et parajudiciaires, ou encore de protecteurs pour les habitants des campagnes. Le pouvoir se concrétise aussi à travers la fondation et la gestion de couvents, d’institutions caritatives, de confréries. Enfin, il se décline en rapports de clientélisme – les membres des élites pouvant être à la fois patrons pour les populations des bourgs et des campagnes et clients des autorités souveraines, par exemple à travers les rapports de parenté spirituelle avec les baillis suisses.

Il s’agit donc d’un ouvrage remarquable, aux analyses fines et nuancées, et qui se fonde sur des dépouillements d’archives intensifs et vastes à Lugano, Bellinzone, mais aussi Côme, Venise ou Milan, ainsi que sur des lectures riches. Trois thèmes nous semblent particulièrement intéressants: le caractère transnational des élites, la nature protéiforme du pouvoir et son caractère multidirectionnel. Quant au caractère transnational des élites, le livre montre de façon éloquente les liens que celles-ci entretiennent avec la Lombardie et les cantons: ce dernier point est particulièrement intéressant, car il s’oppose à une tradition historiographique condamnant l’époque des baillis et son malgoverno et suggère comment, à l’époque moderne, une appartenance politique du Tessin à la Suisse s’est développée. La nature protéiforme du pouvoir émerge de l’analyse des stratégies poursuivies par les familles: en effet, à côté du pouvoir formel se développe un pouvoir «informel» consistant en un rôle de négociation et de médiation, mais aussi en des droits de propriété et des rapports de crédit. Enfin, le pouvoir s’avère multidirectionnel: dans une société dépendant d’autorités extérieures comme celle des bailliages, les élites s’inscrivent également dans des relations de dépendance, dont elles tirent un pouvoir local; mais les sujets se révèlent également aptes à manipuler à leur profit les rapports de crédit, par exemple. À travers son étude, M. Schnyder met en évidence de façon magistrale et «de l’intérieur» le fonctionnement de la société d’Ancien Régime.

Zitierweise:
Bertrand Forclaz: Rezension zu: Schnyder, Marco: Famiglie e potere. Il ceto dirigente di Lugano e Mendrisio tra Sei e Settecento. Bellinzona, Casagrande, 2011. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 140-142.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 140-142.

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